LA RÉFORME DE DÉCHÉANCE DE NATIONALITÉ : UNE SANCTION PÉNALE INEFFICACE

Suite aux attentats du 13 novembre 2015 à Paris, le Président de la République Monsieur François Hollande a indiqué de vouloir modifier la Constitution. Entre autre le projet de réforme constitutionnelle, présenté le 23 décembre 2015 par Monsieur le Premier Ministre Manuel Valls, prévoit d’inscrire la déchéance de nationalité la norme suprême. Cette réforme n’est pas seulement controversée au sein de la population, mais aussi au sein du gouvernement. Ce désaccord gouvernemental a trouvé son paroxysme dans la démission de la Garde des Sceaux, Madame Taubira, la semaine passée. Même s’il est clair que la cause de la démission de Madame Taubira ne se trouve pas exclusivement dans ce désaccord-ci, mais plutôt dans l’opposition de Madame, qui est une sympathisante de la gauche radicale, vis-à-vis d’une politique gouvernementale de plus en plus droite. Mais la démission est indiscutablement une conséquence de cette réforme. Cependant pour pouvoir discuter de cette réforme, il faut la définir.
Tout d’abord il faut précisément définir la peine pénale, appelée « déchéance de nationalité ». Sous cette dénomination on entend une sanction consistant à priver un individu de sa nationalité, en raison de son comportement indigne ou préjudiciable aux intérêts de l’État.
Cette sanction est déjà prévue par l’article 25 du Code civil, mais uniquement pour les binationaux qui ont, acquis la nationalité française, soit par mariage, naturalisation ou par naissance sur le territoire de la France de parents étrangers. Le changement envisagé prévoit d’étendre la déchéance de nationalité aux binationaux nés français et condamnés pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation. Pour être né français on doit donc avoir un parent de nationalité française, indépendamment du lieu de naissance (droit du sang). Sinon on doit avoir été né en France et avoir un parent né en France quelle que soit la nationalité de celui-ci (double droit du sol).
Donc avant ainsi qu’après la réforme, il faut que la personne dispose d’une autre nationalité, pour pourvoir être déchue de la nationalité française. Ceci résulte de l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui dispose que « tout individu a droit à une nationalité ». Donc, il est clair, que dans le cas où un État retire la nationalité d’une personne qui dispose seulement d’une seule, cet État créerait des apatrides, ce qui serait une violation de ses engagements internationaux. Il est donc fort improbable que la voix des membres du gouvernement qui réclament l’ouverture de cette sanction pénale à toutes les personnes, même aux non-binationaux, soit écoutée. Même si le gouvernement français veut promouvoir cette réforme comme un outil efficace contre le terrorisme il faut remarquer que néanmoins cette sanction dispose déjà d’un champ d’application bien réduit.
Normalement on assimile une telle déchéance de nationalité avec une expulsion du territoire français. Même si un tel scénario serait sans doute très bien accueilli par la classe politique, qui pouvait ainsi démontrer son pouvoir, le droit s’oppose à une telle solution simpliste. Notamment dans le cas où le pays de destination présente des risques réels d’atteinte aux droits de l’homme, la CEDH s’oppose systématiquement à une expulsion. Un exemple pour une telle opposition de la part de la CEDH, est le cas de Kamel Daoudi. Monsieur Daoudi a été déchu de sa nationalité française pour avoir fait partie d’un groupe terroriste et devait être expulsé vers l’Algérie. Cependant la CEDH s’est opposée à l’expulsion. Depuis sa sortie de la prison française en 2008, il est donc assigné à résidence à Carmaux en France.
Comme déjà annoncé, la déchéance de nationalité n’a pas seulement un champ d’application bien réduite, mais en outre elle n’est pas une garantie pour une expulsion de cette personne du territoire français. Vu qu’à mon avis l’expulsion est cependant l’argument ultime ainsi que le but envisagé par cette réforme, il faut se poser la question si celle-ci est juridiquement nécessaire ou seulement une mesure politique voire plutôt populiste et surtout en fin de compte complètement inefficace ?
Dernièrement il faut encore souligner que le passage par la voie constitutionnelle n’a pas été nécessaire pour que la réforme puisse passer. Le choix de faire de cette réforme de la déchéance de nationalité une modification constitutionnelle, a été un choix exclusivement politique. Le gouvernement français a voulu éviter le risque que son projet de loi soit rétorqué par le Conseil constitutionnel. Cette méthode ne démontre pas seulement que le gouvernement actuel est fortement touchée, mais en outre, ce qui est encore plus grave, qu’il ne se rend pas compte des éventuelles conséquences de cette constitutionnalisation de la déchéance de nationalité. En inscrivant la déchéance de nationalité dans la Constitution, on permet aussi de l’aggraver ensuite par une loi. C’est donc une arme redoutable que ce gouvernement offre aux gouvernements futurs. Je n’ose pas à penser ce qu’un gouvernement FN ferait avec cette arme, dans le scénario d’une victoire Le Pen en 2017. Cette constitutionnalisation d’une mesure populiste et en fin de compte inefficace est en outre aussi juridiquement superflue que politiquement dangereuse.
Max Leners